Fonctionnalités
février 07, 2023

La Terre a-t-elle vraiment un pouls?

Croyez-le ou non, la réponse est oui. Toutes les 26 secondes, de petits tremblements se produisent à l’intérieur de la Terre, comme une pulsation ou un battement de cœur. "Il est remarquable que ces tremblements se produisent de manière aussi régulière et depuis tant de décennies", explique le géologue Lars Eivind Augland.


Geologist Lars Eivind Augland
Geologist Lars Eivind Augland

Le pouls

Le pouls de la Terre est un thème central de la campagne de Yara pour  développer une agriculture durable favorable à la nature et respectueuse de l’environnement. Pour en savoir plus sur la science derrière le pouls de la Terre, Yara s’est entretenue avec Lars Eivind Augland, professeur associé au Département de géosciences de l’Université d’Oslo. M. Augland travaille avec la géochronologie et étudie le moment de divers événements tout au long du temps géologique, allant de la façon dont les continents de la Terre se sont formés jusqu’à la façon dont le climat a changé au fil du temps.

Augland trouve le phénomène du battement de la Terre toutes les 26 secondes fascinant et passionnant.

– "Oui, on peut appeler cela une sorte de pouls. La croûte terrestre a des tremblements réguliers. Mais Ils sont si petits qu’ils ne représentent pas une menace comme les vrais tremblements de terre."

Augland explique que toutes les 26 secondes, le pouls de la Terre est capté par les stations sismiques du monde entier. Les signaux sont les plus évidents en Afrique de l’Ouest, en Amérique du Nord et en Europe. Ce pouls est l’un des rares signaux générés régulièrement, clairement et avec précision. On ne sait pas quelle en est la cause, mais il y a diverses explications possibles, y compris les vagues de l’océan, les volcans et l’accumulation de pression et sa libération dans les fissures remplies d’eau des couches sédimentaires sous le fond marin.

– "À l’origine, les microsecousses ou battements, détectés à des intervalles de 26 secondes, ont été expliqués par l’activité des vagues dans le golfe de Guinée en Afrique de l’Ouest. Des conditions de profondeur particulières et la géométrie du fond océanique et de la côte ont été signalées comme causes possibles. En raison de la façon dont les vagues frappent et créent une résonance sur le fond marin, les battements pourraient à leur tour se propager comme des ondes de tremblement de terre dans la croûte terrestre".

Augland poursuit en expliquant que l’activité volcanique a été citée comme une autre explication possible, mais aucune trace de volcans actifs n’a été trouvée dans la mer dans cette région.

​– "Une troisième explication est avancée dans la dernière étude publiée dans la célèbre revue Earth and Planetary Science Letters, qui soutient que le fluide circulant à travers les réseaux de fissures fractales dans les sédiments sous le fond marin est la cause de ces tremblements," dit Augland.

La régularité du pouls peut être due à des conditions spéciales sur le fond marin du golfe de Guinée, consistant en couches de sédiments riches en eau qui sont sous pression. En raison de la charge de sédiments provenant du fleuve Niger, la pression de l’eau augmente dans le fond marin. Les différences de pression entraînent des écoulements d’eau dans les fissures du fond marin, comme dans une pompe hydraulique, où la pression augmente à un certain point avant d’être relâchée comme un déclencheur. La régularité de l’accumulation et de la libération de pression est ce qui produit ces tremblements, qui peuvent être enregistrés comme une pulsation sur les sismomètres partout dans le monde. La différence de pression peut être amplifiée par l’activité des vagues dans le golfe de Guinée.

​– "Dans ce sens, la nouvelle étude unit les explications précédentes concernant l’activité et les mouvements des vagues dans la partie supérieure de la croûte terrestre", explique Augland.

Augland souligne qu’aucune des trois explications n’a été suffisamment vérifiée. Cela exigerait des relevés sous-marins approfondis dans les zones pertinentes du golfe de Guinée, ainsi que des mesures pour identifier la source exacte des tremblements.

 

Découvert dans les années 1960

Le fait que la Terre émette une pulsation toutes les 26 secondes a été découvert au début des années 1960. Le pouls a été enregistré pour la première fois par le sismologue américain Jack Oliver qui, entre autres choses, a contribué de façon remarquable à l’établissement de la théorie de la tectonique des plaques et a travaillé sur l’enregistrement des explosions de bombes atomiques à l’aide d’ondes sismiques. Depuis lors, les scientifiques ont recueilli suffisamment de données pour déterminer que les tremblements à intervalles réguliers ont persisté au-delà de son premier enregistrement et forment une sorte de pouls rythmique.

– "Il est remarquable que ces tremblements se produisent de manière aussi régulière et depuis tant de décennies. C’est un autre phénomène transitoire dans un contexte géologique. Il y a quelques milliers d’années, le niveau de la mer était différent. Le dernier âge glaciaire, qui s’est terminé il y a environ 10 000 ans, a entraîné des changements majeurs dans le niveau de la mer en raison de la fonte des glaciers sur la terre. De tels changements du niveau de la mer jouent probablement un rôle", explique Augland.

 

De nombreux pouls

Selon Augland, la Terre a de nombreux pouls. L’un de ces pouls est court et émet des pulsations toutes les 26 secondes, alors que d’autres pouls plus soutenus sont contrôlés par des paramètres astronomiques et le rayonnement solaire.

– "Nous devons examiner les variations de l’orbite de la Terre autour du Soleil et l’inclinaison de l’axe de la Terre, définissant les cycles de Milankovitch, explique Augland. Ces pouls avec différentes périodicités prévisibles d’environ 10 000 à 400 000 ans sont activement utilisés pour étudier le climat. D’autres pouls, qui ont été proposés, mais qui sont actuellement plus spéculatifs, seraient liés à l’échange de chaleur entre le manteau profond de la Terre et sa croûte, ce qui pourrait donner lieu à la formation des super volcans, des continents et des cycles de la tectonique des plaques qui affectent le climat en absorbant le dioxyde de carbone (CO2) ou en le libérant dans l’atmosphère. Ces cycles ont des pouls âgés de dizaines à des centaines de millions d’années."

– "Quand j’ai lu pour la première fois sur le phénomène [pulsation aux 26 secondes], j’ai été fasciné, car je cherche à comprendre ces autres cycles qui peuvent nous en apprendre beaucoup sur l’histoire de la Terre. Évidemment, il est passionnant de voir que des processus réguliers et prévisibles localement peuvent être ressentis à l’échelle mondiale. Ce pouls ne dit peut-être rien sur les processus majeurs de la Terre et les conditions de vie, mais il est sans aucun doute intéressant parce qu’il montre comment le monde est connecté. Et puis il y a quelque chose de mystérieux quand on découvre des phénomènes que l’on arrive difficilement à expliquer et que l’on étudie depuis plus de 50 ans sans savoir avec certitude d’où ils viennent."

 


 

Sources

Chen, Y., Xie, J. and Ni, S., 2022. Generation mechanism of the 26 s and 28 s tremors in the Gulf of Guinea from statistical analysis of magnitudes and event intervals. Earth and Planetary Science Letters, 578, p.117334.

Lantink, M.L., Davies, J.H., Ovtcharova, M. and Hilgen, F.J., 2022. Milankovitch cycles in banded iron formations constrain the Earth–Moon system 2.46 billion years ago. Proceedings of the National Academy of Sciences, 119(40), p.e2117146119.

Meyers, S.R. and Malinverno, A., 2018. Proterozoic Milankovitch cycles and the history of the solar system. Proceedings of the National Academy of Sciences, 115(25), pp.6363-6368.

Michael R.Rampino, KenCaldeira & Yuhong Zhuc, 2021: «A pulse of the Earth: A 27.5-Myr underlying cycle in coordinated geological events over the last 260 Myr», Geoscience Frontiers.

Müller, R.D. and Dutkiewicz, A., 2018. Oceanic crustal carbon cycle drives 26-million-year atmospheric carbon dioxide periodicities. Science advances, 4(2), p.eaaq0500.

Oliver, J., 1963. Additional evidence relating to “a worldwide storm of microseisms with periods of about 27 seconds”. Bulletin of the Seismological Society of America, 53(3), pp.681-685.

Shapiro, N.M., Ritzwoller, M.H. and Bensen, G.D., 2006. Source location of the 26 sec microseism from cross‐correlations of ambient seismic noise. Geophysical research letters, 33(18).

Wu, Y., Fang, X., Jiang, L., Song, B., Han, B., Li, M. and Ji, J., 2022. Very long-term periodicity of episodic zircon production and Earth system evolution. Earth-Science Reviews, p.104164.